Au pied de mon arbre

Dans mon jardin

Au pied de mon arbre

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Épisode du mercredi 23 septembre 2020 à 08:32

Au pied de mon arbre

Il n’est pas très courant qu’une plante s’invite dans un débat de société. Le public s’émeut plus facilement lorsqu’on lui annonce, comme la semaine passée, que près de 70 % des animaux sauvages ont disparus en 50 ans. On se sent plus proche, et c’est normal, des animaux que des végétaux. Tout le monde connaît le lion, le singe, le panda. Mais qui connaît l’épilobe, la scrophulaire et autres cirses qui sont pourtant des plantes communes de notre environnement ?

C’est pourtant une plante, et de surcroît un arbre qui a agité les médias la semaine dernière. Le traditionnel sapin de Noël, menacé comme une persona non grata dans une municipalité. Tant d’effervescence et de déchaînement de passion autour d’une tradition païenne (et non chrétienne comme on pourrait le croire) qui puise ses racines profondément chez nos ancêtres celtes.

Assis au pied de mon arbre j’aime prendre du recul sur les évènements et ne pas céder à la passion de l’instantanéité.

L’arbre, on sait tous le représenter, se l’imaginer, le dessiner, cela semble l’évidence même. Mais combien d’entre vous le dessinerait avec ses racines, cette partie invisible à nos yeux et qui pourtant représente près du cinquième de sa biomasse totale. Plongeant dans le sol, c’est tout un univers invisible qui se déploie sous nos pieds, avec des symbioses, des interactions avec des champignons, un monde à part mais fascinant. Finalement, on connaît mal l’arbre, réduit à un objet de décoration ou à une source de bois alors que c’est un univers de biodiversité en lui-même.

L’arbre, également un climatiseur naturel, comme un linge qui sèche impassiblement, qui rafraîchit l’atmosphère et provoque les pluies. Mais l’arbre, avant tout un être vivant, une plante. Qu’un arbre, ou même une autre plante s’invite dans un débat, quel que soit ce débat, me réjouit toujours, car les plantes peuvent nous permettre de changer notre façon de voir les choses, de percevoir différemment le vivant et sa diversité, d’apprécier l’altérité pour employer un mot cher à Francis Hallé, botaniste et grand défenseur des arbres. L’animal est le maître de l’espace, le végétal le maître du temps et du temps, on en manque cruellement dans une société qui veut aller toujours plus vite. Qu’il est bon dans ce cas de se poser au pied de son arbre.

Vous l’avez certainement remarqué, les plantes s’invitent de plus en plus chez le grand public, dans les débats écologiques, grâce à des auteurs comme le forestier allemand Peter Wohlleben ou le biologiste italien Stefano Mancuso pour citer les plus connus, la sylvothérapie ou Shinrin Yoku. Comme pour chaque information, et on vit dans une société où on est bombardé d’informations, il faut garder son esprit critique. On ne peut qu’applaudir et féliciter ces auteurs pour les succès de leurs livres et de mettre ainsi les plantes à disposition du grand public, je reste néanmoins vigilant quand on veut prêter des intentions, des qualités animales aux plantes, comme Wohlleben qui dit que l’arbre « allaite » ses petits. Cette anthropomorphisation des plantes biaise et pollue le débat, est fausse scientifiquement et nuit à l’altérité des plantes. Mais répétons-le, ces ouvrages ont le mérite de lancer le débat et de le placer sur un autre plan.

L’annonce de cette municipalité s’inscrit-elle dans cette tendance, un effet d’annonce ? Chacun en pensera ce qu’il veut mais réfléchir à préserver nos écosystèmes, gérer durablement nos forêts, sur ce point tout le monde sera d’accord. La crise sanitaire actuelle nous montre qu’on finit par se brûler les doigts à force de perturber les écosystèmes car, sans son arbre, c’est l’humanité qui perd ses racines et scie la branche sur laquelle il est assis.

Chronique réalisée par Gilles, mycologue et ethnobotaniste.


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