Épisode du mercredi 2 décembre 2020 à 08:11
Que fait un arbre en hiver ?
C’est étrange, un arbre en hiver. Immobile, sombre, décharné, il semble mort, à subir sans broncher les assauts hostiles du vent, du froid, de la pluie, de la neige aussi. Nul échappatoire pour lui, pour se réfugier à l’abri, au chaud devant la cheminée. En hiver, l’arbre est en dormance, mais il n’est pas inactif pour autant comme nous allons le voir.
L’arbre se prépare déjà en automne à l’arrivée de l’hiver, en perdant ses feuilles, récupérant ainsi des dernières réserves, offrant moins de prise au vent hivernal et à l’accumulation de neige qui pourrait le rompre.
En hiver, l’arbre a deux objectifs.
D’abord se protéger du froid et surtout du gel. Le gel n’est pas un ami de l’arbre. Il peut faire exploser ses cellules, rompre ses branches, fendre son tronc. Sous l’effet du gel, l’air dissous dans l’eau et circulant dans les vaisseaux forme des bulles qui, si elles sont suffisamment grosses, restent coincées et obstruent le passage de la sève. On parle d’embolies hivernales. Ainsi l’arbre va enclencher des processus de protection et déployer trois stratégies.
Stratégie 1 : stopper la croissance. Comment ? En interrompant la division de ses cellules ! Celles-ci se trouvent alors dans l’incapacité d’utiliser les nutriments et autres hormones de croissance amenés par les racines via la sève, car certaines molécules indispensables à leur fonctionnement (les enzymes) sont alors inhibées par les températures. Du coup, l’hiver venu, les arbres cessent toute activité de croissance.
Stratégie 2 : fabriquer de l’antigel. C’est un processus très complexe. Il consiste en plusieurs modifications moléculaires et cellulaires progressives qui découlent de réactions biochimiques s’activant, s’inhibant et se réactivant constamment selon les fluctuations de la température extérieure. Dès que la température passe sous les 5 °C, l’arbre synthétise des enzymes qui vont dégrader l’amidon (de grosses molécules de sucre) – fabriqué par photosynthèse et mis en réserve à la belle saison dans l’écorce et le bois – en sucres plus petits et solubles à fort pouvoir “antigel”. Mais, dès que la température grimpe au-dessus de 5 °C, l’amidon se reconstitue car les protéines antigel fusionnent entre elles pour le reformer. Puis, quand la température rechute en soirée, il est de nouveau hydrolysé, et ainsi de suite. L’arbre déshydrate également partiellement ses cellules, augmentant la concentration en sucres solubles et abaissant son point de congélation. Ainsi, le diamètre du tronc et des branches diminuent.
Stratégie 3 : réparer si besoin. Dès la fin février, l’arbre se prépare à l’arrivée des beaux jours. Là, sous l’écorce, débute un processus de réparation, voire de production de nouveaux vaisseaux transporteurs de sève brute (de l’eau et des sels minéraux). Une étape essentielle, car dans les feuilles, la photosynthèse transforme cette sève brute en sève élaborée, redistribuée ensuite des racines à l’ensemble de l’arbre. Or, pour les réparer, la plante fait un appel d’eau et de sucres dans les vaisseaux, qui génère une pression chassant les bulles d’air.
Enfin, protéger ses bourgeons, que menace notamment le gel. Et pour remplir cette mission, l’arbre se met en veille. C’est-à-dire qu’il ralentit sa croissance. Protecteur, il va même jusqu’à former des écailles là où naîtront les futures pousses feuillées, leur faisant comme un nid douillet d’où elles pourront éclore sans crainte.
En conclusion, offrir le moins de prise au froid, le repousser de toutes ses forces et, si besoin, panser ses plaies : voilà ce que fait un arbre l’hiver. À le voir, on ne le croirait jamais. C’est pourtant à cette condition que résiste ce géant qui, contrairement aux autres êtres vivants, reste continûment exposé au froid sans nul endroit où se mettre à l’abri. Ni terrier ni arbre pour s’abriter sous son aile. Soyons comme les arbres, apprenons à ralentir pour résister aux conditions extérieures et profitons aussi de la saison sombre pour nous ressourcer, nous réparer et repartir plus fort au printemps.